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3 septembre 2021 5 03 /09 /septembre /2021 06:54
La Conversion de Saint Paul - Église de Putanges (Orne - 61)

La Conversion de Saint Paul - Église de Putanges (Orne - 61)

 

Voiles et Écrans

 

 

     Dans une chorégraphie moderne du dernier opéra que Puccini a composé, la méchante et cruelle princesse Turandot porte sur sa tête d'étranges lunettes numériques, au lieu du voile traditionnel que portent parfois les femmes. Il en est ainsi d'ailleurs, de pratiquement tous les personnages de la scène tout au long de l’œuvre. L'intrigue propose de dénouer ce qui apparaît d'abord comme impossible : répondre à des énigmes mystérieuses, mais aussi, et surtout, libérer la princesse des sentiments de haine, de vengeance et de cruauté dans lesquels elle est emprisonnée. Ce n'est que vers la fin de la représentation, lorsque les lunettes numériques (ou le voile) se trouvent détachées de la personne de la princesse, que l'on comprend que celle-ci peut être sauvée, car elle est alors revenue (renée) à la vie et à l'amour.

 

     Le mot « écran », recherché dans n'importe quel dictionnaire de synonymes nous fournira les termes suivants : « barrage », « fermeture », « barrière », « obstacle », « obstruction ». L'expression « faire écran » signifie quant à elle : « masquer », « camoufler », « dissimuler », « déguiser », « occulter », « s'interposer » et enfin « voiler » (ce qui est équivalent à « cacher » ou « éclipser »). Et en effet, nous pouvons trouver des correspondances entre le travail des écrans et la fonction des voiles traditionnels portés par les femmes : tous les deux filtrent la manière dont les personnes et les événements se présentent. Une femme voilée impose ou incite, de fait, pour les personnes qui se trouvent autour d'elle, des comportements sociaux bien précis. Les écrans, tout comme les voiles, imposent des cadres de lecture, de compréhension et d'interprétation. Ils dirigent nos intelligences, nos interprétations et nos comportements vers certaines directions. Ils pré-mâchent en nous les imposant, les pré-supposés de nos univers sociaux et culturels.

 

     Dans certaines cultures et dans certaines conditions, il est acceptable de littéralement mâcher la nourriture pour autrui, comme par exemple pour les bébés ou pour les personnes édentées. Mais je doute que ce soit là un idéal à encourager. Pourquoi en serait-il autrement de nos nourritures affectives, sociales et culturelles ?

 

     Si tel est le cas, il est donc très curieux que dans l'esprit commun, un grand renversement s'est produit. En effet, une résistance au monde digital, au monde des écrans, est communément perçu comme la marque d'un esprit particulièrement étroit, obtus, réfractaire, récalcitrant, rétif, rebelle, indocile ou limité. Il s'agit d'un renversement fascinant : comment le fait de refuser de porter des lunettes filtrant la réalité est-il ainsi devenu associé à une étroitesse d'esprit ? Ne s'agit-il pas là d'une illusion ou d'un tour de prestidigitation extra-ordinaire? Comment le fait d'ôter le voile nous cachant le visage nous empêcherait de mieux voir ? Comment le fait d'enlever les écailles de sur nos yeux nous empêcherait de mieux distinguer? Comment le fait d'enlever nos casques de sur nos oreilles nous empêcherait de mieux entendre ce qui se passe autour de nous ?

 

     Il est une objection de taille : la personne reste libre d'activer ou non les écrans. La personne est libre de choisir ce qu'elle regarde ou ce qu'elle écoute. Oui, elle est libre, mais à condition d'avoir une formation, un projet personnalisé suffisamment défini et une solidité intérieure contre toute épreuve. La personne est libre, à condition toutefois d'avoir en elle des racines robustes et profondes qui lui permettront de résister aux vents puissants et multiples de la propagande ingénieuse, dotée d'instruments toujours plus efficaces dans la manipulation: algorithmes, travail acharné des « influenceurs », des cookies, des techniques de langages toujours plus sophistiquées… Que pouvons-nous devant tout cela ? De quelle manière, et selon quels critères, est active la liberté de la personne, et s’opérerait donc le discernement (la discrimination) au sujet de sa consommation digitale ? N'est-il pas trop souvent vrai que c'est le monde numérique lui-même qui conditionne, limite, oriente et voile ainsi la liberté du consommateur, et ceci d'autant plus facilement que les instruments qui sont mis en œuvre ne sont ni conscients ni maîtrisés (les algorithmes par exemple) ? Dans de telles conditions, la liberté est trop souvent illusoire et notre nourriture relationnelle et sociale offerte par l'univers des écrans n'est que du tout cuit ou du pré-mâché !

 

     Ne remarquons-nous pas que de plus en plus facilement, il devient possible de remonter le fil des opinions que nous rencontrons dans nos conversations ? Si telle personne dit et pense telle chose, c'est en raison de ce qu'elle a vu et regardé sur tel ou tel média il y a peu… Lorsque tel est le cas, il nous faut reconnaître qu'un bien piètre usage en est fait de notre soi-disant « liberté » ! Lorsqu'à son insu, la personne est amenée, orientée vers telle opinion particulière, les dès ne sont-ils pas pipés à l'avance ?

 

     Des moyens puissants et une mise en scène grandiose, ont été mis en œuvre afin de présenter le labeur considérable nécessaire afin que la cruelle princesse Turandot puisse vraiment renaître à la vie et à l'amour. « Ouvre-toi » semblent supplier les héros de l'intrigue qui se nomment Calaf et Liu. « Regarde-moi et apprends à me regarder, et à me connaître par mon nom ! » « Ôte ton voile et ton casque numérique » sont donc les messages et les enseignements de l'opéra « Turandot » dans sa version moderne !

 

     Et c'est le même message que Jésus nous présentait déjà, dans le récit de guérison d'un sourd-muet qui lui est apporté par la foule ! Avons-nous remarqué comment le miracle de cette guérison ne peut s'opérer qu’après avoir écarté l'infirme de la présence et de l'influence de la foule ? Ainsi, taire la foule qui se trouve à nos côtés est nécessaire afin de mieux entendre et suivre la douce musique de l'amour et de la vie qui est en nous et qui est aussi tout auprès de nous ! Pourquoi la croissance des plantes, l'amitié qui m'est proche et le chant et la danse des oiseaux ne suffiraient-ils pas à me donner un peu de joie pour la journée qui m'est offerte ? Ne serait-ce pas là une merveilleuse manière de nous inviter à fermer nos écrans un peu plus souvent ? Oui cela nous est nécessaire, afin que nous puissions, enfin, nous ouvrir et renaître à la vie, à la joie, au pardon et à l'amour ! Effata !

 

 

 

23e Dimanche Temps Ordinaire – Année B

 

 

1. Isaïe 35, 4-7a : « Alors s'ouvriront les oreilles des sourds, et la bouche du muet criera de joie. »

 

2. Psaume 145 : Je veux louer le Seigneur, tant que je vis

 

3. Jacques 2, 1-5 : « Dieu n'a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres, pour en faire des héritiers du Royaume ? »

 

4. Marc 7, 31-37 : « Il fait entendre les sourds et parler les muets. »

 

 

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commentaires

C
ICe texte m'a fait réfléchir aux voiles dans lesquels on s'enveloppe pour se protéger et à ceux dont nous enveloppons ceux qui nous approchent : dans tout cela il y a à la fois de la peur mais surtout un désir de pouvoir plus ou moins camoufflé
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